Article du Saharien (par Marc Franconie)

lundi 28 janvier 2013

Article du "Saharien" (par Marc FRANCONIE)



Il est un peu plus de 9h à Djanet, ce 20 janvier 1934. Le lieutenant Brusset présente son détachement au capitaine Gay, commandant la compagnie saharienne des Ajjers. Toute la garnison est rassemblée au pied de Fort-Gardel pour rendre les honneurs à la Mission.


À Djanet, le capitaine Gay, le médecin-lieutenant Bergerot,
le lieutenant Brusset et le lieutenant Dudezert



Une reconnaissance du Ténéré, en 1934
par un peloton de la Compagnie saharienne des Ajjers
Lieutenant Brusset *

                               C’est en janvier 1934 que le capitaine Gay, commandant la compagnie des Ajjers, confie au lieutenant Brusset la mission de reconnaître à travers le Ténéré un itinéraire praticable aux automobiles permettant d’éviter le long et difficile détour par In-Ezzan, Djado et Bilma. Le but : relier directement le lieu-dit "Point 5" du lieutenant Toubeau de Maisonneuve (210 km d’In-Afelalah) à la Piste Bilma/Agadez, dite Rottier -du nom d’un célèbre méhariste de la Coloniale-, passant d’Achegour à la pointe nord de l’adrar Madet.
                               Dans son livre "L’Épopée du Ténéré", Henri Lhote fait, à propos du très beau raid qui se prépare, une judicieuse remarque : «  La reconnaissance du lieutenant Brusset devait être l’une des plus scabreuses lancées dans le Ténéré, pour la raison qu’elle n’était pas limitée à faire la jonction de deux points d’eau connus, mais devait s’efforcer de parcourir le plus de kilomètres possible, c’est-à-dire jusqu’à épuisement de sa réserve d’eau ou de ses chameaux ».
                               Peu auparavant, le capitaine Feyler -commandant du Groupe Nomade de N’Guigmi, chargé de la sécurité de l’Est-nigérien-, accomplissait à travers le Ténéré de remarquables reconnaissances, de fin octobre à fin décembre 1933, puis durant la première quinzaine de janvier 1934. Il en fut aussi de même du lieutenant Charvet, du G.N. d’Agadez, comme on le verra plus loin ici. Car, aspect non négligeable de "la question du Ténéré", une véritable compétition s’était développée entre les méharistes de l’époque, entre ceux du nord et ceux du sud (qui se traduisait ainsi par une "guerre des boutons" souterraine...), l’enjeu étant d’être dans le peloton de tête de ceux qui étaient en mesure de lever le voile sur l’un des derniers blancs de la cartographie saharienne.
                               Ainsi donc, le 20 janvier au matin, avec son peloton méhariste, le lieutenant Brusset quitte Djanet. Ses effectifs comprennent :
 - 2 Européens : le maréchal des logis Humbert et le Saharien radio Pioud.
 - 2 Touaregs de l’Aïr engagés comme guides.
 - 13 méharistes de la compagnie. Chacun porte son armement individuel normal ; 4 guerbas ; des vivres pour 45 jours ; 15 kg d’orge par chameau.

                               En plus des montures personnelles, la reconnaissance comporte 9 chameaux supplémentaires pour le guech (bagages/charges), soit 2 pour le transport du poste de T.S.F., 1 pour l’impedimenta du lieutenant, les 6 derniers pour l’eau de réserve (12 tonnelets de 50 litres) et le bois. Presque autant de chameaux, pour un complément de réserve d’eau, ont été loués pour la circonstance et devant les rejoindre à In-Afelalah, le dernier puits connu avant de s’aventurer dans l’inconnu... C’est cette aventure que nous allons revivre ici, à partir du rapport officiel qui vient de sortir de l’ombre, et qui donnera lieu à un toponyme bien connu de ceux qui parcourent le Ténéré : "l’erg Brusset".


Le peloton du Lt Brusset, le 9 février au matin, au pied d’une grande dune de l’erg qui portera son nom ; l’Européen de face est le radio Pioud, discutant avec le MdL Humbert.
Mission
                     Le lieutenant Brusset se rendra avec son déta­chement à In-Afelalah où il trouvera un convoi civil de 17 chameaux transportant 34 cylindres vides. Après avoir abreuvé, fait une provision de drinn et de bois et rempli les 34 cylindres ainsi que les 12 transportés par ses propres chameaux de convoi, le lieutenant Brusset, em­menant le convoi civil se dirigera à travers le Ténéré en direction générale d’Adrar Madet, en recher­chant un itinéraire suscep­tible d'être parcouru par des automobiles, sans aména­gement préalable. Cet itinéraire sera jalonné dans les conditions détaillées plus loin.

                               Arrivé au lieu dit point 5, le lieutenant Brusset refera un abreuvoir et remplira les guerbas vides au moyen de l’eau des 34 cylindres du convoi civil lequel, aussitôt après cette opération sera renvoyé sur In-Afelalah et Djanet. Le détachement méhariste poursuivra sa route à travers le Ténéré jusqu'à ce qu’il atteigne la piste Agadez Bilma qu’il suivra jusqu’à proximité des contreforts de l’Aïr. Le lieutenant Brusset se dirigera alors vers le puits de l’Aïr le plus proche en utilisant les deux guides Touaregs qui accompagnent la reconnaissance (ce puits sera probablement Takolokouzet). (NDLR : Le massif très imposant de Takolokouzet se trouve plein ouest de l’Adrar Madet ; le puits (plutôt une aguelmam) qui porte son nom se trouvant sur son flan opposé, il s’agit plutôt ici de l’aguelmam d’Ibel, qui fait face au Ténéré.)

                               Après avoir abreuvé et laissé pâturé les animaux, le lieutenant Brusset se dirigera vers Agadez où il recevra de nouvelles instructions. En principe, la reconnais­sance rentrera alors sur Djanet par la voie normale (Iférouâne / In-Azaoua / Tirérine).
Divers
Convoi civil : Le convoi de 17 chameaux civils sera escorté de bout en bout par 3 méharistes. Il quittera Djanet pour In-Afelalah le 19 janvier
Jalonnement : Le lieutenant Brusset jalonnera soigneusement l’itinéraire de façon à ce que les automobiles le suivent sans difficulté. En principe une levée de terre ou un djedar sera fait tous les kilomètres et en tout cas de façon à ce que d’un redjem on puisse apercevoir l’autre. En outre. 300 djérids seront emportés pour être placés au centre des levées de terre, enfouis de 50 cm dans le sol ; ces djérids doivent former un jalonnement très visible et résistant au vent. Bien entendu, ne jalonner qu’entre le point 5 et la piste Agadez / Bilma. (NDLR : Le djedar est un signal sommaire effectué avec les matériaux du lieu ; le redjem est une vraie balise généralement formée d’une pyramide de pierres ; les djérids sont des palmes de palmiers, qui, plantées à la vertical, servent aussi de repères de fortune.)

T.S.F. : Un poste mobile E28bis, dont le service sera assuré par le Saharien Pioud accompagnant la reconnaissance. Les liaisons avec Djanet et Tamanrasset auront lieu à 19h30. Le lieutenant Brusset signalera tous les jours sa position.
Levé d’itinéraire : Le lieutenant Brusset exécutera un levé de l’itinéraire parcouru au 500 000e.
Guides : Deux guides de l’Aïr accompagnent la reconnaissance. Les licencier à Agadez en leur remettant le reliquat de leur traitement.
Achat de vivres à Agadez. Le lieutenant Brusset emportera une somme de 9 l00f (soit 700f par homme) pour lui permettre de parer à toute éventualité...
Renseignements
                               Voyons comment se présente le problème d’après les renseignements que nous possédons. Nous savions qu’à partir du Point 5 en allant vers le sud, commence le reg infini qui fut traversé pour la première fois par le lieutenant Toubeau et ensuite par la mission du capitaine Duprez, lieutenant Lebique et lieutenant Turven. Mais ce reg de cailloux roulés, vus du Point 6bis de l’itinéraire du capitaine Duprez que nous appelons Point Toubeau et les indigènes "Gara des oiseau", situé à 35km sud-sud-est du Point 5, s’étend-il indéfiniment au sud aussi parfaitement plat et propice au roulement des automobiles ? Ne se présente-t-il pas d’obstacles qui nous obligeront à choisir telle direction plutôt que telle autre à priori ?
                               D’autre part, nous savions que la bordure de l’Aïr présentait l’aspect d’un tassili ensablé qui, dans la région sud, lance des antennes de sable. En effet, nous savions qu’immédiatement au nord de l’Adrar-Madet, s’étalait une série de barres de sable dirigées en gros ouest-sud-ouest / est-nord-est. Quelle était l’importance de ces barres, leur hauteur, largeur, facilité de franchissement au point d’abaissement ? Peu de renseignements. Nous savions que ces barres allaient en s’abaissant vers l’est.
                               À la fin de décembre 1933, nous avons pu avoir des renseignements un peu plus précis par le capitaine Feyler de l’Infanterie Coloniale, commandant le Groupe Nomade de N’Guigmi. Premièrement, il nous assura que les barres de sable au nord de Madet étaient solidement rattachées aux contreforts est de l’Aïr et qu’il était inutile de rechercher un passage inexistant. Deuxièmement, que Madet était mal placé sur la carte ; il nous donna sa position, ainsi qu’Achegour et Fachi. Troisièmement, que les barres d’erg infranchissables au nord de Madet lui semblait à l’est ; celles-ci s’abaissant et lui semblait-il présentant des discontinuités ; il marqua sur la carte un point approximatif où les barres étaient vues de la piste d’Agadez / Bilma sous cet aspect.



                               D’après les renseignements du capitaine Feyler :
1/ Il était inutile d’envoyer deux reconnaissances se séparant au Point Toubeau, l’une longeant l’Aïr, puisqu’il n’y avait pas de passage possible.
2/ La reconnaissance qui devait partir n’aurait pas à prendre Adrar-Madet comme point de direction générale mais un point X, nettement à l’est, et situé par le Cne Feyler à environ 45 km de Madet. Direction Point 5/Point X : 163°30', ce qui sera l’angle de marche.
Intentions
                               Ceci étant posé et étant donné la distance à parcourir d’In-Afelalah au premier point d'eau 730 km (110 km In-Afelalah / Point 5 ; 360 km Point 5 / Piste ; 160 km Piste / Point d’eau), il fallait se rendre aussi rapidement que possible au point où nous devions faire boire les chameaux avec l’eau du convoi. Car, dans la partie Point 5 / Piste Bilma-Agadez, nous devions faire un jalonnement, qui même sommaire, perd du temps. Dans cette section, je ne pouvais guère espérer dépasser 45 km par jour.
Horaires de marche
                               Partis de Djanet le 20 janvier à 9h30, j’arrivais à In-Afelalah le 23 avant midi. Je fis boire immédiatement les animaux pour qu’ils puissent manger (sbid, sfar, n'çi étant secs). Le soir à la nuit, le maréchal des logis Humbert nous rejoignait venant du Groupe Mobile (de Tarat, par Dider / Tin Taradjelli). Nous restons trois jours entiers. Les aouïas sont revues, les cylindres lavés, remplis et laissés couchés, des charges d’herbe pour les animaux de masse [de bât] sont préparées ainsi que les charges de bois. La veille, les gerbas sont remplies.
                               Le 26 au matin, les 17 chameaux civils transporteurs d’eau quittent le puits. Le détachement de reconnaissance ne partira que... vers midi, pour faire 20 km dans l’après midi ce qui n’empêche que le 30 à midi nous étions tous au Point 5 (190 km en 3 jours et demi).
                               Le 30 après midi commence le travail de jalonnement en direction du point X ; marche lente pour que les guides et les hommes se mettent en train. Le lendemain, marche dans la matinée seulement : nous arrivons au Point Toubeau. L’après midi, nous faisons l’abreuvoir des chameaux qui boivent peu et complétons avec le restant d’eau nos guerbas.
                               Quatre jours, nous marchons sans que rien ne gêne notre marche dont la direction ne varie pas. Le deuxième jour, nous voyons quelques dunes isolées à l’ouest. Le cinquième jour, dans la matinée, les dunes ouest réapparaissent et au kilomètre 448 nous franchissons une barre de sable, au km 454, une autre, au km 471, nous tombons dans le premier erg dont je ne m’étais pas rendu compte de l’étendue vers l’est et le sud. Une brume de chaleur et le peu d’élévation des dunes empêchant toute estimation.
                               Le sixième jour, j’essayai de me rendre compte de l’étendue vers l’est de ces barres que je ne pouvais contourner. Je ne puis voir l’extrémité avant de l’avoir traversée sur une largeur en oblique de 16 km. Je changeai de direction pour revenir sur la primitive.



                               Le 7 février (7e jour), dans l’après midi, je coupai des barres du deuxième erg ainsi que le matin du 8 février, barres peu larges et élevées de sable mou, alternant avec des regs durs entre chaque barres toutes les quarante à cinquante minutes de marche. Le terrain se présente sous cet aspect jusqu’à la piste qui utilise un couloir entre deux barres.

                               Par la suite, nous n’avions plus qu’à rejoindre le premier point d’eau. Nous sommes allés à la guelta de l’oued Ajioua, en nous arrêtant avant dans l’oued Ibel.
Comment se présente le terrain et conditions de roulement ?
                               Je ne parlerai pas du parcours In-Afelalah / Point 5, ce qui fut fait deux fois déjà et bien mieux que je ne pourrais le faire. Ce qui m’intéressait était la partie Point 5 / Point X.
                               En quittant la piste auto immédiatement après le deuxième étranglement très net de la vallée du Tafassasset au Point 5, on passe entre le rebord sud-est de cet étranglement et un petit mamelon. L’itinéraire emprunte ensuite un espace plat présentant un rebord très léger à l’ouest couronné d’affleurements rocheux, à l’est quelques vestiges de rochers. Le sol est recouvert d’un sable fin peu épais sur une surface d’argile dure. Insensiblement, on avance vers la rive droite et le sable laisse apparaître des surfaces de grès grossier érodé. Entre ces rochers, le sol est parfois pourri, puis les rochers s’élèvent un peu, atteignant un mètre, à un mètre cinquante. Le passage entre ces derniers assez espacés est facile.
                               Au km 221, on atteint une crête nord-ouest/sud-est au sommet de laquel1e se trouvent quelques éboulis de grès grossier plus volumineux et atteignant deux mètres environ. De ce point, la vue est assez étendue. Au nord, on remarque comme un rebord de plateau passant au nord du Point 5, direction générale ouest/est, du côté ouest inflexion de cette bordure qui forme la rive gauche (est) du Tafassasset, du côté est, cette bordure s’infléchit nettement nord-est. Vers le sud, le terrain s’abaisse en pente
nette et courte pour atteindre le niveau d’un reg qui semble indéfIni. Les jumelles ne révèlent rien. C’est le Ténéré. Vers l’ouest et le sud-ouest, une teinte générale plus foncée permet de croire à la présence d’affleurements rocheux, mais en somme, aucun relief tranchant.
                               Au pied de la descente : reg, sable sur fond dur, très bon pour le roulement. Au km 223, nous avons un très bon sol sur fond rocheux, grès grossier et argile, quelques passages mous vers le km 227. Il est à remarquer que la roche diminue pour faire place à l’argile recouvert de sable en couches plus ou moins épaisses.
                               Au km 242, reg sablonneux avec émergences de rochers peu volumineux assez éloignés les un des autres mais plus nombreux à l’ouest. Le sable est mou aux environs de ces accidents du terrain et l’on trouve des cailloux roulés à la base. L’itinéraire traverse au km 251 une roche en grès à grains un peu bruns.
                                Au km 255 : Point Toubeau, petite gara en crête de coq en grès, reg recouvert de sable fin bon très plat. C’est ainsi jusqu’au km 290. J’ai vu encore quelques rochers au sud/sud-ouest du Point Toubeau.
                                Au km 292, un peu de fech-fech par bandes de 10 à 15 mètres alternant avec du grès très fin érodé comme base.
                                Vers le km 302, le fech-fech reprend sur 4 km, mais en bandes pourries plus profondément de 20 à 25 m de largeur.
                                Au km 306, le terrain reste mon puis devient sablonneux, dur.



                                Au km 318, l’aspect du relief change, il n’est plus uniformément plat, le sable s’est rassemblé en très légères ondulations aux contours indécis et formes variées sans direction générale bien définie ; mais de nouveau, le bon terrain sans ondulations reprend après 3 km.

                               Au km 332, le sable s’amasse de nouveau en ondulations plus élevées et en masses plus importantes. La base est en argile si bien que ces mouvements de sable ne semblent recouvrir, des mouvements de terrain qui n’étaient pas complètement arasés. Le sable est dur, l’auto peut aisément y passer. A l’ouest apparaît quelques dunes isolées dont l’axe est en gros ouest/est.
                               À partir du km 389, la surface du sable, qui jusqu’à présent était lisse, devient striée et ressemble à une tôle ondulée. Les stries sont obliques par rapport à la direction de la marche. De nouvelles dunes se présentent mais elles ne sont plus à l’ouest de l’axe de marche ; il faut infléchir un peu la marche pour éviter un çif au km 415. Le terrain se présente toujours sous l’aspect de sable dur strié largement ondulé. L’auto ne doit rencontrer aucune difficulté à mon avis. À l’est apparaît le premier groupe de petites dunes isolées. À l’ouest, les dunes isolées sont de plus en plus rapprochées et même se présentent sous forme de barres continues. Nous évitons une première au km 456, mais une autre coupe la marche d’est en ouest.
                               Au km 457, je choisis un passage bas entre deux çifs, aucune difficulté, pente douce, sable ferme. Une deuxième barre se présente au km 459, on passe sur un bon reg très dur et de nouveau du sable. Au sud de cette deuxième barre, trois petites dunes isolées à l’ouest ; une à l’est de la route, aucune difficulté ; en direction sud, l’horizon brumeux ne laisse rien deviner.
                               Après un peu plus d’une heure de marche à hauteur des dunes isolées vues de la deuxième barre, on devine une nouvelle barre. Encore deux heures de marche et au km 481, on gravit très doucement une pente de sable, un large glacis entre deux çifs distants de 2 km au moins. Arrivé au sommet, descente rapide et on découvre une succession de barres, dunes continues orientées ouest-sud-ouest/est-nord-est effilées dans le sens des vents dominants. Ces dunes séparées par des bon regs mais dont chacune est infranchissable aux autos. Je n’ai pas pu délimiter vers l’est l’étendue de cet erg dont la largeur moyenne est de 14 km.
                               Après ce bras d’erg, s’étend un vaste reg au sol ferme, net de toute dune. On marche 57 km avant de retrouver un nouvel erg dont les barres alternent avec des regs d’une largeur moyenne de 3 km. Les barres nord sont plus hautes : 10 à 15 m ; les lignes de crêtes se relaient très souvent, les abaissements sont bas et très mous. Mais comme pour le premier erg, nous avons à faire à ce que l’on peut appeler des dunes vives, car en cours de formation. Des vents violents déplacent continuellement le sable. Ces barres à mon avis doivent changer assez rapidement de forme et les abaissements se déplacer dans le sens du vent matérialisé par l’axe des barres de sable. Ce deuxième erg est dans sa partie nord. (première à quatrième barre incluses) infranchissable aux autos, les suivantes sont beaucoup plus basses et commencent à présenter des solutions de continuités.
                               En résumé :
 - Du Point 5 (210 km) au kilomètre 318 : excellente surface de roulement sauf à la fin, 10 km avec une bande de fech-fech peu large, alternant avec bon terrain. Donc à mon avis sans danger.
 - Du km 318 au km 457, larges ondulations de sable ferme à surface lisse d’abord puis striées à partir du km 389.
 - Du km 459 au km 481, reg bon et sable dur.
 - Du km 488 : succession de barres d’erg sur 14 km environ, ensuite 57 km de reg.
 - Du km 456,5 à 586,5 : le deuxième erg avec ses huit passages de sable.
                               Donc pour une auto, peu ou pas de difficulté du Point 5 au km 472 mais, pour rejoindre la piste Bilma/Agadez, il faudra absolument contourner par l’est l’obstacle constitué par les deux erg.
Pourquoi je n’ai pas pu contourner les ergs ?
                               Le but de ma mission était suivre un itinéraire auto mobilisable permettant de relier le Point 5 à la piste Bilma/Agadez dans la région d’Adrar-Madet. Pour remplir cette mission et d’après les derniers renseignements qui me semblaient les plus précis et les plus sûrs je m’étais fixé à priori une direction de marche telle qu’elle me faisait atteindre la région de passage probable signalée à 40 km est de Madet. Je pensais que même si je reconnaissais cette région comme impraticable aux autos, il ne me faudrait pas faire un grand crochet pour éviter les dernières manifestations de cette bande d’erg signalée au nord de Madet où que j’arriverais en m’infiltrant, à trouver un passage entre les petites dunes basses et discontinues.
                               Malheureusement mes prévisions se sont révélées fausses :
1/ Je suis tombé brusquement devant un bras d’erg inconnu par moi, infranchissable et j’estimais s’étendant à l’est à 30 km peut-être plus.
2/ De deuxième erg, celui dont nous avions connaissance n’était pas franchissable où je suis passé. Car si les dernières barres sud vues de loin par le capitaine Feyler sont basses et interrompues, celles qui sont au nord sont un obstacle infranchissable aux autos.
                               Pour contourner le premier erg, il me fallait l’assurance que ce détour n’allongerait pas la route de beaucoup plus de 50 km. Il fallait en plus que je retourne au moins à 5 km en arrière pour raccorder le jalonnement exécuté au changement de direction.
                               Or, découvrant à 16h10 l’erg derrière la barre que je franchissais, je suis allé jusqu’à une dune haute que j’atteignais à 16h50. De là aux dernières lueurs du soleil couchant je puis me rendre compte que :
 - j'avais devant moi encore de nombreuses barres à franchir. Donc inutile de chercher des passages problématiques utilisant des abaissements, points- faibles des barres permettant de relier les regs entre eux.
 - que les barres se dirigeaient est/nord-est et s’étendaient sans abaissement ni changement visible à perte de vue. J’estimais que, ayant le soleil dans le dos, les dernières manifestations d’erg que j’apercevais étaient à 20 ou 25 km. Par conséquent, l’erg s’étendait à l’est probablement beaucoup plus loin 30 à 40 km. Donc pour le contourner, c’était un allongement de route de 50 à 60 km.
                               D’autres considérations m’empêchaient cette augmentation de trajet car :
 - température en hausse depuis le départ
 - deux animaux transporteurs d’eau commençaient à tirer (pieds cuits)
 - nourriture animaux devenait très réduite (l0e jour depuis In-Afelalah)
 - je voyais les guerbas se vider, quoique très surveillées, et la consommation d’eau contrôlée.
                               Ces quatre considérations m’interdisaient à mon avis, de faire un crochet à l’est de 50 à 60 km sans gros risques. Je ne pouvais que couper l’erg en obliquant vers l’est ma direction de marche pour me rendre compte si possible, d’une dune élevée, de la fin de l’erg. Je pris cette solution.
                               À partir de ce moment je ne remplissais plus ma mission qui était de suivre un itinéraire auto mobilisable et j’arrêtais tout travail de jalonnement.
Renseignements recueillis sur cette région
                               Naturellement la question de l’extension à l’est de ces ergs m’intéressait beaucoup. Arrivé à Agadez, je demandais au capitaine Humbert, commandant du cercle, des renseignements. Il me mis en contact avec Efalaï, vieux guide targui, qui conduit tous les ans les "Azalaï". Ce dernier m’affirma que le sable finissait à un jour et demi d’Achegour, soit environ 90 km. Pour le premier bras d’erg (nord), il ne put me renseigner.
                               J’ai essayé d’avoir les renseignements sur la région nord entre Madet et Achegour par des automobilistes qui font le trajet Bilma/Agadez. Ils ne m’en ont donné aucun. Ils regardent la piste, cherchent à voir les cylindres qui de kilomètre en kilomètre jalonnent la piste sur ce parcours. Ils m’ont signalé cependant un passage où il faut faire attention. Ce point dé1icat se trouve à mi-chemin entre Achegour et Madet parait-il ; la piste faisant des détours entre des gours ensablés.
                                La piste où je l’ai rencontrée, à 40 km est de Madet emprunte un couloir entre deux barres, reg sablonneux assez dur, les traces des autos étaient à peine visibles. À 5 km est de Madet, la piste passe une barre à un abaissement très praticable.
Équipement de la piste
                               Jalonnement :
À mon avis, le jalonnement par piquets est préférable dans les régions de reg aux tas qui demandent un gros effort de la part de ceux qui manœuvrent la pelle toute la journée et qui pour ne pas rester en arrière, marchent à une allure accélérée. En plus le tas de terre a l’inconvénient d’être rapidement arasé par les vents. Le jalonnement avec la palme de djerid bien enterrée me semble très bon.
1- bien visible
2- tient bien au sol même sablonneux. En effet, il faut un gros effort pour arracher la palme dont les feuilles en V la fixent bien au sol.
3- transport léger. Pour ce dernier point, il y a un inconvénient car si le transport est léger, il est volumineux.
                Il serait intéressant de réaliser un jalonnement sur la piste depuis Hassi-Bourahla au Point 6 et de Djanet à In-Afe1alah par l’est de l’erg d’Admer, soit par palmes, soit par des piquets tous les kilomètres.
Eau :
Ce qui rend dangereux, parfois, les déplacements dans le Sahara, c’est l’éloignement des points d’eau. Or d’In-Afelalah à Djado, sur 550 km environ, il n’existe pas de point d’eau, de même pour la nouvelle piste In-Afelalah / Point 5 / Point Toubeau / Piste Bilma-Agadez. Le premier point d’eau est Tazole pour cette dernière piste soit près de 900 km sans eau.
Si l’on tient compte du dépôt d’eau problématique de l’arbre du Ténéré, il serait intéressant de créer une ligne de puits dans le Tafassasset. On aurait peut-être de fortes chances de trouver de l’eau à une profondeur plus ou moins grande là où le lit est indiscutable. Les deux étranglements du cours du Tafassasset me semblent tout désignés pour tenter l’expérience d’un forage. Ces deux étranglements sont au km 119 et au km 209
Renseignements divers
- Cours de l’oued Tafassasset
                               Après le Point 5, le lit de l’oued se trouve à l’est de mon itinéraire et semble, après avoir décrit une large boucle, venir le récupérer avant le point Toubeau (reg cailloux roulés). On ne peut pas définir le lit, le reg étant uniformément plat. Il me semble du reste difficile de suivre le lit du Tafassasset car je crois qu’un fleuve de cette importance, grossi continuellement par des affluents ouest venant de l’Aïr ou du Tassili est, devait dans son dernier stade de vie s’étaler, divaguer en larges boucles changeantes sur cette pénéplaine parfaite qu’est le Ténéré.
 - Préhistoire
                               Comme tous ceux qui ont traversé le Ténéré, j’ai rencontré des traces de vie passée. La preuve n’est pas à faire, elle l’est depuis longtemps, ce désert absolu a été habité par des populations.
                               J’ai trouvé et déposé au pied des tas de sable (djedar) de nombreuses pierres creuses de moulins (mathana) cassées ou intactes. J’ai trouvé quelques pierres taillées, pilons, etc... et deux pointes de flèches. Je ne mentionne que, pour mémoire, la grande quantité de débris de pots en argile cuite (berma). À signaler certains très grands : cinquante centimètres de diamètre, coupés au ras du soL Je n’ai même pas essayé de la déterrer ; je savais que je ne pourrais pas les transporter. Mais ce qui m’a paru le plus intéressant est un grand plat rond et creux, forme calotte sphérique parfaite d’un très beau travail. Le diamètre de la section est de 45 à 50 cm. Il est en grès noir à grains fins, poli, les bords sont parfaitement arrondis. Malheureusement, l’épaisseur du fond était très réduite et un morceau gros comme une pièce de 5f manquait déjà. N’ayant pas de caisse, je n’ai pas osé risquer le transport dans un sac à chameau jusqu’à Agadez. Je l’ai donc déposé, coiffant un tas de sable au km 377. Si, ultérieurement, des automobiles passent par là, elle pourront faci­lement le recueillir et le transporter.
Conclusions
                               Je n’ai pas eu le bonheur de réussir entièrement la mission qui m’était confiée ; les circonstances et les éléments ne m’ont pas été favorables, mais je tiens à signaler l’ardeur, l’énergie et la bonne volonté dépensés par tous, sans compter. Tous rivalisèrent d’endurance. La plus grande partie du trajet dut être faite à pied Les méhara, surchargés de guech ne pouvaient être sellés. Un militaire, Mohamed ben Mansour, a atteint In-Azaoua, 735 km (850 de Djanet), n’ayant monté qu’une fois un quart d’heure. Je sais que ce n’est pas un record, mais c’est bien, car il faut tenir compte de la fatigue supplé­mentaire du travail de jalonnement. Les militaires indigènes n’ont pas encore perdu leurs qualités légendaires.
                               Le maréchal des logis Humbert, actuellement Chef, a été un auxiliaire précieux et je veux tout particulièrement attirer l’attention sur le Saharien radio Pioud qui alternait avec le maréchal des logis Humbert pour l’exécution du jalonnement ; il s’est offert de lui-même à rendre ce service. Quoique n’ayant aucun entraînement à la marche, Pioud a fait preuve d’une énergie et d’une endurance très grande ; toujours gai, alerte, il a fait l’admiration des indigènes.
                               J’ai l’honneur de demander pour tous des félicitations, à mon avis, très méritées. Je demande tout spécialement qu’on signale au chef du Réseau Radio Est Saharien l’excellente conduite du Saharien Pioud et je crois que sa nomination au grade de brigadier serait une juste récompense.

Journal de marche - Extrait
(la géographie des régions parcourues étant maintenant bien connue, nous avons privilégié ici les seuls points forts de la reconnaissance)
 - 20 janvier : départ à 9h20 ; peu après, le Dr Bergerot et le Lt Dudezert me rejoignent, m’accompagnant jusqu’à la gara de Taranfasset. À In-Debiren, nous remplissons les guerbas. Bivouac à Tirarhart à 17h15. Total : 5h20 / 25 km à pied.
 - 21 janvier : départ à 6h10 ; peu après, courrier spécial du Cne Gay. Bivouac à l’oued Tahla à 12h45. Total : 52 km / 12,5 km à méhari.
 - 22 janvier : départ à 6h. Bivouac à 13h au pied de l’erg est de la gara Edjélé ; vent faible sud-est ; ciel couvert brume ; bon pâturage vert. Total : 8h30 / 42 km à pied.
 - 23 janvier : départ 6h, ciel couvert, pas de vent. Direction In-Afelalah ; en marchant, nous cueillons du sbid (graminée genre drin). Arrivée au puits à 12h25 ; les chameaux boivent bien et vont pâturer ; vent faible nord-est. Le convoi civil de cylindres vides parti de Djanet le 19 au soir, arrive une heure après nous. Le MdL Humbert, avec deux militaires d’escorte, nous rejoint à 18h. Total : 5h25 / 25 km à pied.
 - 24-25 janvier : In-Afelalah. Corvée de bois et nettoyage des cylindres [tonnelets métalliques de 50 l] ; plein d’eau et composition des charges.
- 26 janvier : In-Afelalah. 6°, temps découvert, vent nord-nord-ouest. À 8h, les chameaux arrivent à l’abreuvoir ; on les baraque. Départ à 11h40 ; arrêt tous les quart d’heure ou demie heure, pour rechargement ; à la fin, la marche est un peu meilleure. Bivouac à 17h05 près d’une tache de sfar, quelques maigres touffes de had. J’aurais voulu m’arrêter un peu avant le dernier çif [arrête d’une dune], sur la rive droite du Tafassasset, aux environs du km 35, car il y avait du beau sfar et du bois. Enfin, nous économisons tout de même ce soir notre bois et, ce qui est plus important, la nourriture que nous emportons pour nos chameaux. Total : 5h15 / 21 km à pied.
- 27 janvier : départ à 6h, nombreux rechargements ; 5°, pas de vent, ciel découvert. [Repos casse croûte tous les jours, généralement entre 12h et 13h30 ]. Bivouac à 16h25, derrière la gara, du "nçi" (fourrage au pied d’un petit tassili où se trouvait en juillet 1933 du nçi, dont a profité alors le détachement du Lt Brusset).



- 28 janvier : départ à 6h05 ; 6°, léger vent nord-est. Tafassasset nettement encadré de deux rives rocheuses ensablées ; trouvons de très belles touffes de sfar, précieusement cueillies et mises en sac sans arrêter la marche ou presque. Bon reg après le km 80 ; la brume se dissipe. À 10h45, sommes à hauteur de deux bosses laissées à 1 km à gauche : éboulis de rochers noirs tranchant sur le fond de sable ; je fais faire un djedar. À 11h50, km 100 atteint à une arête de sable ; je fais faire un djedar sur la crête et placer deux cylindres vides, 1 km avant et 1 km après. Je fais réaliser un alignement de pierres sur le reg, puis je pique directement sur l’entrée de l’étranglement de l’oued. Bivouac à 16h35, à la sortie de l’étranglement, peu avant le km 120 ; presque rien comme pâturage ; ramenons les chameaux et mon méhari s’empêtre dans les tendeurs de la Sans Fil, et se sauve en traînant les haubans, l’antenne ; on retrouve tout sans trop de mal, c’est une leçon et remontons l’antenne. 13°, vent faible. Total : 9h15 / 49 km à pied. Km 119.
 - 29 janvier : départ à 6h ; 4°, vent nul ; plaçons quelques djedars vers le km 150. Au km 162,5, je vérifie les deux cylindres que j’ai laissés pleins d’eau en juillet 1933 : quoique pas enterrés, ils sont pour ainsi dire pleins... Bivouac à 18h25 ; encore rien à la T.S.F. Total : 11h50 / 61 km à pied. Km 180.
 - 30 janvier : départ à 6h15 ; 3°, pas de vent. À 8h30, un vent du nord-est s’élève. Terrain sablonneux avec affleurement rocheux. Vers km 205, flamme du Groupe Nomade d’Agadez, plantée fin décembre par le Lt Charvet. À 12h05, deuxième étranglement entre la falaise rive droite où sont construits deux djedars (l’un par le Lt Toubeau, l’autre par le Cne Duprez), et rive gauche ensablée, surmontée également d’un djedar : au centre, on trouve une pancarte en bois sur laquelle est écrit EAU : deux cylindres d’eau, transportés par le Lt Germain en janvier 1932, et non utilisés, ont été enterrés. À 14h, départ, les deux Touaregs, Eouadaï et Abennet, me servent de jalon pour assurer la direction : je leur indique la direction, ils marchent, je suis derrière et rectifie. Puis vient l’équipe des travailleurs, une messah, une pioche et trois pelles ; le 6e militaire porte des djerids (palme de palmier) ; soit le MdL Humbert, soit le radio Pioud, marchent avec eux, surveillant le travail et toutes les six minutes marquent le sol par un tas de terre ou de pierres, toutes les douzes minutes pour planter un djerid. Les autres militaires conduisent les chameaux et marchent parallèlement à nous sur la droite. Cet après-midi, le travail est lent. Je le surveille aussi pour montrer ce que je veux, insiste pour qu’il soit creusé lorsqu’on plante le djerid. Lorsque nous trouvons des rochers, j’augmente la densité des repères et fais faire de nombreux djedars. En quittant le Point 6, trouvons un reg de sable fin généralement sur fond d’argile ; une légère élévation borde à l’ouest comme une rive ; à gauche, deux petites éminences de faible importance. Repérons un tombeau tronconique. Bivouac au débouché sur le Ténéré. Total : 9h35 / 33 km à pied. Km 223.



Le lieutenant Brusset, assisté du maréchal des logis Humbert, surveille l’abreuvage des chameaux au Point Toubeau, à l’aide des tonnelets de 50 litres
- 31 janvier : départ à 6h05. Bibouac à 10h40, à 500 m à l’ouest du Point Toubeau. Abreuvoir et remplissage des guerbas : nous en avons tous, 3 pleines, sauf les guides, 2. Avant de me coucher, je fais l’inspection de nos guerbas : une perdait et était aux trois quarts vide ; il ne faudrait pas que cet incident se renouvelle souvent. Total : 4h35 / 22 km. Km 255.


Au Point Toubeau, le lieutenant Brusset, le radio Pioud et le maréchal des logis Humbert.
Ce point perdu dans le Ténéré, quasi mythique, se distingue par cette petite élévation rocheuse envahie par les sables, que l’on aperçoit en arrière plan, à 500 m environ.

Le radio Pioud effectuant au Point Toubeau sa liaison avec Djanet, sur son poste E28Bis

- 1er février : départ à 5h50 ; 4°, pas de vent. Sol en général plat et bon, mais quelques zones de fech-fech ; parfois, de nombreux débris de poteries ou des matrhanas (pierres à moudre, dite meules). Bivouac à 17h10 ; 20°, vent léger ouest-sud-ouest. Total : 10h30 / 44 km. Km 299.
- 2 février : départ à 5h45 ; 4°, pas de vent. À 16h15, traces de pigeons [!], puis de grosses mouches. Bivouac à 16h45 ; deux libellules, papillons : c’est le signe qu’il y a une pâture pas loin ; 21°, vent sud, puis sud-sud-ouest. Total : 9h45 / 46 km à pied. Km 345.
- 3 février : départ à 5h45. Le matin, débris de héron, trace de fenek, poteries, beau matrhana, crottes de begra [addax]. À 10h35, crottes de chameaux récentes à gauche et trouvons drin coupé : nous devons rencontrer l’itinéraire du capitaine Feyler. 29° à 11h45, ciel découvert. Les rahlas pouvant être mises sur les chameaux, quelques militaires sont montés une heure le matin et une heure le soir. Le MdL Humbert et le radio Pioud alternent au travail et montent environ une heure chaque jour depuis le 30 janvier. Bivouac à 16h30. Total : 10h / 47 km à pied. Km 392. 23°5 à 17h.
- 4 février : départ à 5h30 ; 9°, pas de vent. Sable ferme, strié en larges ondu­lations. À 7h15, vu un begra s’enfuyant vers l’ouest ; un peu de nçi encore vert ; il faudrait aller vers l’ouest pour trouver le pâturage. À 8h45, crottes de chameau à droite, pas très vieilles, probablement du capitaine Feyler. À 16h30, mouches, traces d’un oiseau, petites mouches très nombreuses, toutes petites, jaune paille, d’autres assez grandes ailes argentées, reflet vert ; les Arabes les appellent mouches d’acheb - libellules. Bivouac à 16h40 ; 27°, pas de vent. Presque tous les militaires dont le guech diminue, ont pu seller les chameaux et monter un peu. Total : 9h45 / 45 km à pied. Km 437.
 - 5 février : départ à 5h20 ; 12°, pas de vent ; bon terrain. Une heure plus tard, premières dunes vues à gauche de notre direction de marche ; un corbeau passe, filant nord-nord-est. À partir de 9h, une barre de dunes ininterrompues. À 10h40, une deuxième barre, moins bonne, pente moins douce, sable mi-dur. Puis passons entre des dunes isolées, sans difficulté. Une troisième barre : passage entre deux çifs. À 16h10, gravissons lentement une pente douce de sable dur ; du sommet, je me rends compte qu’il y a plusieurs barres à bandes rapides, infranchissables aux autos, séparées de reg. Bivouac dans le reg à 16h50, près d’un grand çif, 25°. Je monte au sommet de la dune avec mes jumelles, je ne vois pas la fin des barres vers l’est ; elles semblent aussi denses et élevées à l’extrême limite de ma visibilité que malgré la brume j’estime de 15 à 20 km ; au sud, je vois la fin des barres et le début d’un grand reg. Total : 10h / 46 km à pied. Km 483.
- 6 février : départ à 5h15 ; angle de marche 119°. À 7h, 17°5, vent nord. Dernières barres deux heures plus tard. À 10h, à l’est encore manifestation d’erg ; à l’ouest plus rien ; je monte pour la première fois depuis In-Afelalah, la deuxième depuis Djanet. Crottes de chameau à 14h. Bivouac à 17h ; 27°, après midi orageuse, brume de chaleur très épaisse. Total : 10h / 43,5 km dont 12 à méhari. Km 526,5.
 - 7 février : départ à 5h15, 12°, faible vent nord, reg bon. 27° à 12h. À 13h30, abordons deuxième erg, composé de barres assez hautes, sable mou. Deuxième barre à 15h ; je ne vois pas l’extrémité des barres vers l’est ; brume, direction générale de l’erg : 285°. Bivouac à 17h, 22°, vent nord-est frais. Donnons deux bouilloires d’eau aux chameaux, une par narine. Total : 9h45 / 46 km dont 3 à méhari. Km 572,5.
 - 8 février : départ à 5h30, 8°, vent nord. À 6h, avant de descendre de la quatrième barre, nous apercevons l’Adrar Madet en avant à droite. Cinquième barre une heure plus tard. Les nouvelles barres sont plus faibles et présentent des discontinuités, elles sont plus rapprochées et semblent très basses et disloquées vers l’est. À 8h55, nous franchissons la huitième barre du sommet de laquelle je vois la ligne des cylindres de la piste [Rottier]. Bivouac vers 17h30, 18° (23° à midi). Total : 9h45 / 45 km dont 21 à méhari. Km 617,5.

La mission bivouaquant au nord-est de l’Adrar Madet
 - 9 février : départ à 5h30, 5°, vent nord-est froid. Nous approchons des dunes nord-est de Madet ; à 7h, vue sur le massif de l’Aïr. Arrêt de 8h à 12h, à la pointe nord de Madet, dans une tache de nçi : on lâche les chameaux pour qu’ils puissent manger. Le guide Eouadaï me montre [dans l’ouest] le massif à deux pointes de Takolokouzet, et au sud de celui-ci un massif tabulaire en direction de l’oued Ibel où nous trouverons peut-être un tilmas [mare temporaire] s’il a plu cet hiver. Au pied de Madet, côté ouest, une dizaine de tahlas [acacias] et quelques touffes de ressel. deux petits oiseaux : l’eau n’est pas loin. En repartant à 12h (27°, vent est-nord-est), nous voyons un begra : le guide targui Abennet le poursuit à chameau au grand trot ; c’est superbe, mais le chameau perd, il n’est pas en forme après cette traversée du Ténéré. Bivouac à 17h, 23,5°, vent de sable violent. Total : 7h30 / 37,5 km. Km 655.


En grande tenue pour se présenter dans les postes de l’Aïr

                               Voila donc le lieutenant Brusset au bout de ses peines, l’Adrar Madet étant devenu la balise du navigateur hauturier qu’il était devenu. (NDLR : Sur la région Adrar Madet/Erg Brusset, R. Frison-Roche dans son livre "Mission Ténéré" (Arthaud 1960, p.35) écrit ce qui suit : « Dans le sable, il n’y a qu’à se baisser pour trouver : débris de poteries, meules à broyer le grain, haches néolithiques, et même des bijoux, bracelets de granit, coquilles d’œufs d’autruche... Les préhistoriens découvrent que sur le lieu du campement nocturne se situait il y a quelque 6 000 années une importante agglomération humaine caractérisée par 165 broyeurs à grain dispersés sur 250 m². Les habitants de l’Adrar Madet devaient être des végétariens si l’on en juge par l’absence de pointes de flèches, et par l’abondance, au contraire, de meules du ténéréen. Ils devaient broyer leurs récoltes et engranger la farine dans leurs poteries. Un membre de la mission parle de "Beauce du néolithique"... ») Car maintenant, les régions qu’il va parcourir sont globalement bien connues. Son journal, dès lors, tout en restant très détaillé jusqu’à son arrivée à Agadez, perd pour nous l’intérêt de la découverte. Signalons cependant que l’itinéraire qu’il prit se trouve très au nord de la piste automobile que nous empruntons de nos jours. En effet, sur un azimut général sud-ouest depuis la pointe nord de l’Adrar Madet, la reconnaissance longe le Tassa-n-Abardagh, se dirige sur le flan méridional du mont Bagzane, et emprunte enfin une piste traditionnelle vers la capitale de l’Aïr qu’elle atteint le 20 février au matin ; elle y est reçue cordialement et généreusement par les Coloniaux.




Télégramme reçu à Agadez en provenance de Djanet :
le capitaine Gay félicite son lieutenant du raid accompli.

                               Le retour sur Djanet a lieu le 3 mars : adieux au capitaine Imbert ; le capitaine Bourges et le lieutenant Sausier accompagnent la mission jusqu’au terrain d’aviation ; le lieutenant Quint et le médecin-lieutenant Piriou sont partis la veille en tournée. Passant par Aoudéras le 6 mars (près d’El Méki), Assodé trois jours plus tard, il séjourne les 11 et 12 mars au "carré" du G.N. de l’Aïr ; il y a là le capitaine Arnould, le lieutenant Charvet et le docteur Piriou ; visite du camp de la Mission Fourreau-Lamy, des ruines d’Aguellal. Le 14, le S/Lt Beneteau accueille les Sahariens à Iférouane, mais le Lt Brusset repart le lendemain vers In-Azaoua qui est atteint le 21. Le 26 mars, c’est l’étape à Issalane où le détachement reste une journée pour fêter l’Aïd-el-Kébir. Le 31, étape à Tiririne pour faire boire les chameaux qui n’apprécient guère son eau natronnée. Enfin, le 5 avril, à 7h40, la garnison de Djanet et le groupe mobile rassemblés lui présentent les armes...
                               La liaison méhariste directe Djanet - Agadès a donc été réalisée, et des informations utiles pour les automobiles relevées. Pour atteindre ces résultats, le Lt Brusset aura parcouru 2 274 km en 76 jours à 40 km de moyenne journalière ! Le Cne Gay écrivait au sujet de cette reconnaissance qu’elle était remarquable et « en tous points comparable aux très belles missions d’exploration exécutées antérieurement par la compagnie des Ajjers ».
Les 11 commandements
(les lignes qui suivent ne faisaient évidemment pas partie du rapport de mission, mais figuraient parmi les papiers du Lt Brusset ; peu ou pas connues, ces recommandations pour les futurs chefs de peloton ne sont pas dénués d’intérêt)

                               Le commandement d’un peloton méhariste est une véritable école du Chef. Il exige bien autre chose que la résistance physique & le mépris du confort : fermeté & rapidité dans les décisions, induction & déduction, énergie mais non brutalité.
                               Sans la confiance réciproque, ta vie serait un enfer ; pour obtenir cette confiance & l’inspirer, il n’y a pas de basse besogne indigne de toi.
                               Songes que, comme tes Chaâmbas, tes Touaregs, tu n’es qu’une créature & que, seule, ton intelligence mise au service de ton cœur, te confère une supériorité que les attributs du grade : galons, étoiles, sont impuissants à te donner.
                               Dans un commandement comme celui-ci, il n’y a pas de détails. Descends jusqu’aux plus infimes, le carnet & le crayon à la main. Note & puis... ne te presse pas de tirer des conclusions.
                               Ici, tu es comme le capitaine sur son bâtiment : seul maître ; donc à toi seul la décision.
                               L’instruction en vue du combat est ta seule raison d’être. Ne dis pas qu’elle est malaisée, mais adapte-la au temps & aux circonstances. Les principes de liaison & de discipline ont ici une valeur accrue du fait du terrain & du genre de combat.
                               Les possibilités de ton peloton peuvent se mesurer à la bosse de tes méharas.
                               Les satisfactions morales, les seules qui vaillent, ne te manqueront pas si tu réussis. Les jours seront toujours trop courts à ton gré, car tes fonctions multiples : instructeur, conseiller, médecin, vétérinaire, juge, te prendront même tes heures de repos.
                               L’outil que tu as mission de forger est de bon acier. Il fut éprouvé bien avant toi ; mais tu n’en connaîtras le degré de résistance & de souplesse qu’en l’examinant à la loupe.
                               Défie toi de la logique, de celle si chère à notre esprit infesté d’occiden­talisme car la nature, qui s’en moque, te jouera plus d’un tour à ce sujet.
                               Et maintenant, enfourchant ton méhari & le poussant de ton pied nu sur le sentier pierreux ou la dune croulante, sois persuadé que, béni des dieux, tu as la plus belle part, que tu vas vivre les heures les plus pleines, les plus réconfortantes de ta carrière & qu’à jamais & quoi qu’il arrive, tu en garderas le souvenir nostalgique.
                               C’est ton lot... comme çà a été le notre.



Carte du lieutenant-colonel Carbillet adressé au lieutenant Brusset,
suite à une tournée dans le Sud du gouverneur Gardes et du général Meynier.






D'autres photos prises par Louis Brusset :


































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